Depuis l’éclatement de l’affaire Cahuzac, le président François Hollande et le gouvernement de Jean-Marc Ayrault sont en effervescence. Comme toujours dans ce genre de situation, aussi révélatrice qu’embarrassante, le pouvoir en place s’efforce d’éteindre l’incendie en déclarant, la main sur le cœur, vouloir mettre un terme définitif à ce scandale, en proposant une nouvelle loi ou un grand débat national.
Dans ce cas précis, François Hollande nous promet, droit dans ses bottes, un « Choc de moralisation de la vie politique » ! Il est question d’une nouvelle loi ! Et devinez qui la rédigera et la votera ! Ceux-là mêmes dont la moralité est mise en doute. Amusant, non ? Ou à pleurer, c’est selon votre sens de l’humour.
La première réflexion qui me vient à l’esprit est : proposer une telle loi revient à reconnaître que, jusqu’à ce jour, la moralité des hommes et des femmes politiques n’était pas une condition préalable et sine qua non de leur accession à des fonctions publiques ou à des mandats de représentants du peuple français et donc de garants des lois de la République !
Parmi les mesures annoncées se trouve l’obligation pour les députés, les sénateurs et les ministres, de déclarer et de publier leur patrimoine personnel. Outre que ce procédé porterait atteinte à la vie privée de ces personnes, qui sont d’abord des citoyens de la République, comme chacun d’entre nous, ces déclarations seraient difficilement vérifiables. En effet, jamais les fraudeurs n’iront déclarer les sommes qu’ils ont pu détourner au fisc et placer dans des paradis fiscaux. De plus, cela susciterait chez les simples citoyens une certaine méfiance, voire de la suspicion, à l’égard de leurs représentants ayant déclaré une fortune importante. Cela pourrait les conduire à faire un amalgame douteux entre le niveau de richesse personnelle et la probité supposée de la personne.
Ce n’est pas l’importance du patrimoine de nos élus qui doit nous interpeller, mais la possible utilisation de leurs mandats à des fins d’enrichissement personnel. Et là, on touche immédiatement à la question centrale du problème, que l’on appelle par euphémisme le « conflit d’intérêts ».
En fait de « conflit », il s’agirait plutôt de « collusion » d’intérêts. Utiliser ses relations avec le pouvoir exécutif ou législatif pour défendre les intérêts financiers d’une entreprise ou d’une profession, n’a jamais provoqué un conflit moral chez un député, un sénateur, un ministre ou un des membres de son cabinet. Pour effacer toute trace de culpabilité, ces mêmes personnes ont elles-mêmes voté des textes de loi rendant légal ce genre de pratiques. Et pour balayer toute critique de la part des citoyens, ces mêmes représentants du peuple lui ont donné un joli nom : « lobbying ».
Lobby est un mot anglais qui désigne un vestibule, une entrée. Par extension, le terme désigne un groupe de pression (qui dispose d’un accès aux cercles de pouvoir et de décision). Sachant que les grandes entreprises, les grands groupes financiers et quelques capitaines d’industrie disposent de moyens conséquents pour rémunérer des lobbyists professionnels, il va sans dire que leur capacité à influencer les votes et même les politiques en leur faveur est sans commune mesure avec le contre-pouvoir de simples citoyens. Ce simple constat suffit à qualifier le « lobbying » d’atteinte au fondement même de la démocratie qui se résume à cette équation élémentaire : « un homme, une voix » !
De là à penser que « certains » de nos élus voient dans leur mandat électoral un moyen légal (peu importe que cela soit conforme à une éthique ou à la morale) de s’enrichir en vendant leurs « conseils » à des entreprises ou à des groupements d’intérêts privés, il n’y a qu’un petit pas, que je franchis aisément. En effet, rien n’interdit aujourd’hui à un député ou un sénateur d’être associé ou dirigeant d’un cabinet de conseil ou de lobbying. Or, en utilisant leurs relations avec le pouvoir exécutif ou législatif, dans le cadre de leur profession d’origine, ces personnes s’enrichissent grâce à leur mandat. Cela porte un nom : trafic d’influence. Ce dernier est bien considéré comme un délit, au même titre que la corruption. Il est donc soumis aux mêmes sanctions.
Là encore, la démonstration est limpide. Comment peut-on prétendre moraliser la vie politique si l’on confie aux députés et aux sénateurs le soin de légiférer sur ce point ? Souvenez-vous de l’affaire Elf, qui a révélé un financement occulte des partis politiques français. Elle s’est soldée par le vote d’une amnistie générale. On n’est jamais mieux pardonné que par soi-même !
Le meilleur moyen de lutter efficacement contre le trafic d’influence et l’enrichissement de certains politiques serait d’interdire la présence des lobbyists dans l’enceinte de l’Assemblée nationale, du Sénat et des ministères, ce qui de facto rendraient inéligibles les avocats d’affaires et les associés ou salariés de sociétés de conseils. Mais cela, seuls un référendum, ou un changement de constitution pourraient l’imposer.
Pour vous donner une idée de la gravité de cette atteinte à la véritable démocratie, je vous propose de visionner une scène d’anthologie du cinéma français. Un film d’Henri Verneuil, sorti en 1961, intitulé tout simplement « Le Président ». Ce président de la quatrième république y est magistralement interprété par Jean Gabin. Dans cette scène, l’acteur y clame haut et fort ce qui se passe encore aujourd’hui dans les couloirs de nos institutions françaises, et plus encore dans les institutions européennes, dont les décisions, qui plus est, prévalent le plus souvent sur nos lois nationales.
Inquiétant, non ?
Yves Corver
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